Le pitch : À Athena, alors qu’un enfant vient d’être battu à mort par la police, le frère de ce dernier, un militaire issu du quartier, tient une conférence visant à favoriser l’apaisement dans la cité au bord de l’embrasement. Le cadet de la famille lance un cocktail Molotov sur la presse et les forces de l’ordre lors de l’événement, engageant un mouvement de révolte d’une violence sans précédent.

Le dieu Romain

Athena est le troisième long-métrage de Romain Gavras, réalisateur entré dans la légende à 15 piges avec la création de Kourtrajmé, collectif de fils de bourgeois se fantasmant enfants des cités à une époque où La Haine est l’un des trucs les plus frais que le cinéma français nous ait apportés et que NTM scande “nique la police” sur scène. Si le collectif a indéniablement marqué les esprits et enfanté de clips (Bâtards de barbares, Kim Chapiron en 2005 ou Stress, Romain Gavras, 2007) et films cultes, courts (La Barbichette, Chapiron, 2002) ou longs (Sheitan, Chaprion, 2005), une sempiternelle critique semble les suivre depuis maintenant presque 30 ans : ces enfants de la télé nourris aux clips ont un sens de l’esthétique affuté mais rarement mis au service de quelque chose qui va plus loin que “eh ce serait cool si le truc là il était en feu et que la voiture elle allait super vite sur deux roues, avec la caméra au ras du sol ça serait trop stylé” (et oui, généralement c’est très stylé). Un culte onaniste du cliché et de la séquence chocs qui resteront gravés dans vos mirettes mais dont on oubliera bien vite le contexte ou le sens. Alors là comme je sais tout ça et que je me prépare à regarder un Romain Gavras, j’éteins le cerveau et j’ouvre grand les yeux, et normalement tout devrait bien se passer.


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Écran titre Athena 

 

 

Cette intro à couper le souffle

J’ouvre grand les yeux

Si le film enchaîne régulièrement les plans-séquences (généralement pour introduire un personnage et un nouveau point de vue), le plus impressionnant est indéniablement celui qui sert d’introduction au film pendant ses 10 premières minutes. Une séquence monumentale à la réalisation et à la mise en scène folles. Il m’a fallu rassembler toute ma volonté pour ne pas mettre le film en pause et essayer de comprendre la logistique absolument époustouflante derrière ces mouvements de caméras incroyables qui s’enchaînent comme s’il s’agissait de la chose la plus simple au monde. Gavras et son équipe démontrent d’une maîtrise absolue de la mise en scène et s’installent en mètre étalon de l’exercice que représente le plan-séquence. Voici donc sa forme finale ! La chorégraphie est millimétrée, le cadre est chirurgical, la mise en scène occupe chaque seconde de notre attention tout en gonflant l’imagerie de la cité et le lore de ceux qui l’habitent. La séquence se termine sur l’image “Akira-esque” d’une cité pré-apocalyptique qui laisse présager du très lourd. Je reprends mon souffle pour enchaîner sur la suite. Une heure presque entière d’un déchaînement de violence urbaine aussi beau qu’effrayant. On n’assiste pas à une émeute mais à une véritable guerre, un conflit à la hauteur des Grands Ensembles abritant des milliers de familles représentées par des centaines de figurants, tantôt “réfugiés”, tantôt acteurs des affrontements avec la police. Si la surenchère visuelle ne lasse pas, elle confirmera mes doutes sur son absence d’intentions autres qu’esthétiques, rodéos pyrotechniques autour de la police et affrontements prétextes à l’appui, mais quel spectacle ! L’excitation ne redescend pas pendant les deux premiers tiers du film qui présentent avec succès la mythologie des divers personnages de la cité d’Athena et leurs transformations (la forme finale de Karim, interprété par le jeune Sami Slimane, digne d’un anime) tout en offrant en permanence un divertissement épique sublimé par une bande son impeccable et des acteurs qui font le taf, voire plus. S’ensuit alors une partie brouillonne, bâclée (au regard du reste), les événements s’enchaînent avec une incongruité et une lourdeur qui contrastent cruellement avec l’embrasement auquel on vient d’assister et débouchent sur un nouveau drame qui introduit la dernière partie du film.

 

Police lançant un assaut sur Athena 

 

 

Pour Agatha ! Euh… Athena !

J’éteins le cerveau

Et là… c’est le drame. D’un coup, sans prévenir, le film bascule, essaie de se trouver un sens mais ne parvient qu’à s’écrouler sur lui-même. Restent 30 minutes de conclusion essoufflée, convenue, moche. Essoufflée parce qu’elle ne tire pas parti des installations qui ont précédé, même le tant anticipé Sébastien (Alexis Manenti) parvient à décevoir. Convenue parce qu’à partir du moment où la bascule opère on sait déjà tout ce qui se tramera après. Les éléments sont posés, on est en configuration connue, on sait où ça nous mène, les conflits internes, la colère, la résignation, tout ça, il n’y avait pas besoin de nous l’étaler sur 30 minutes et même Dali Benssalah semble moins convaincu, et donc moins convainquant dans ce rôle qui change du tout au tout. On sent cette partie forcée, dispensable. Moche parce qu’après en avoir pris plein les yeux pendant une heure on arrive sur quelque chose de beaucoup plus terre à terre et les partis pris esthétiques de ce segment sont, au mieux, redondants, au pire, complètement incongrus et encore plus forcés que dans le reste du film. Mais la pire partie reste encore la toute dernière scène du film, dont un long noir la précédent achève de nous convaincre qu’elle aurait gagné à être coupée. En une seule scène Romain Gavras arrive à annihiler tout le semblant de sens et de cohérence qu’on pouvait accorder à son film, martelant grossièrement une morale complètement claquée en prenant le parti de révéler un élément sur lequel il avait jusque là si judicieusement laissé planer le doute. C’est tellement mauvais, tellement twist à deux balles, tellement “j’ai 14 ans et c’est profond” et surtout tellement mal amené. Au delà de l’événement qui s’y déroule, qui n’est pas inintéressant en soi s’il avait été exploité différemment, c’est la mise en scène, l’image, le fait que le peu de sens et d’engagement qu’on trouve chez Gavras se trouve là dans cette scène facile, galvaudée, qui travestit le message du récit pour le réduire à une farce, une frustration gratuite, c’est juste triste et inquiétant de voir autant de talent entre les mains de quelqu’un ayant si peu conscience du chef-d’œuvre qu’il touchait du bout des doigts et décide de gâcher bêtement le feu d’artifice avec ce pétard mouillé.

 

En conclusion, Athena est un spectacle jubilatoire et d’une qualité rare pendant sa première heure, un déferlement de scènes toutes plus impressionnantes les unes que les autres, avec une mention spéciale aux 10 premières minutes tout simplement magistrales. Malheureusement c’est une jolie coquille vide qu’on nous vend là et le dernier tiers poussif nous ferait presque oublier les immenses qualités du reste du film.