Pourquoi parler d’un jeu sorti voilà plus de dix ans avec toutes les merveilles qui sortent en cette fin d’hiver 2024 ? Vous vous en doutez bien, pour de multiples raisons mais celle qui est à l’origine de cet article est tout d’abord le fruit d’un heureux hasard.

Détenteur du PS Plus Premium, j’ai enfin la joie de faire main basse sur la trilogie de Tactical-RPG qui s’ouvre sur Shadowrun Returns, tous sortis originellement sur PC, respectivement en 2013, 2014 et 2016. Ce petit évènement a motivé la rédaction des lignes et du test de Shadowrun Returns que vous êtes en train de lire pour vous faire découvrir cette petite pépite vidéoludique tout en vous racontant l’histoire de cette rencontre manquée avec cette uchronie futuriste à la croisée du cyberpunk (genre qui nait avec l’œuvre Neuromancien de Willilan Gibson en 1984) et de la fantasy. Ce mélange, qui comme dirait UltraChilly, tape dans tous mes kinks, est à l’origine un jeu de rôles sur table américain, sorti initialement en 1989 qui sonnait parfaitement juste dans l’air du temps.

Pour moi, Shadowrun, ce sont d’abord les livres édités chez Fleuve Noir spécialistes alors des adaptations en romans d’univers rôlistes comme Donjons & Dragons et leurs Royaumes Oubliés. La première trilogie de Robert. N. Charrette sortie en 1994 a été mon premier vrai contact avec le lore de cet univers si particulier, ma première confrontation avec le cyberpunk. Boulimique de livres, j’ai tout de même fini par stopper la série (toujours en cours en anglais) au bout d’une dizaine de romans que je possède toujours. Si je suis passé ensuite et parallèlement à d’autres lectures, ce premier contact littéraire m’a fortement marqué, notamment avec le concept de Matrice qui sera au centre quatre ans plus tard du film des sœurs Wachowski, œuvre synthèse de la S-F de l’époque.

Alors, quand mes yeux émerveillés sont tombés sur la magnifique seconde édition du livre de règles dans les mains de mes amis et voisins d’immeuble à la fin de mon adolescence, je fondais de grands espoirs de pouvoir courir les ombres avec mes amis de ma jeunesse. Cela promettait de nombreuses parties nocturnes à explorer le monde mais faute de maîtrise des règles réputées très complexes, ces parties n’eurent jamais lieu.

« Il est lore de se réveiller »

L’originalité de l’univers de Shadowrun par rapport à son grand frère Cyberpunk créé une année plus tôt est l’irruption de la magie dans une société futuriste et technologique qui a fortement évolué, où les grandes entreprises se sont transformées en mégacorporations possédant leur propre armée et territoire, dictant leur conduite aux Etats, où les implants cybernétiques ou biotechnologiques sont désormais courants. Le monde virtuel de la Matrice, monde dans le monde, a renvoyé l’internet à l’âge du minitel et permet une immersion sensorielle totale ; c’est le territoire de jeu des deckers (hackers).

L’évènement majeur qui fait entrer la Terre dans le sixième monde (ère) est appelé L’Éveil. En sommeil depuis des millénaires et à l’origine de nos contes et légendes, la magie s’éveille en 2011. Ainsi, certains parents au lieu de donner naissance à des enfants humains, donnent naissance à des elfes et des nains ; en 2021, des humains mutent en masse pour devenir des orks et trolls via le phénomène de gobelinisation. Surtout les dragons, puissants magiciens capable de prendre naturellement n’importe quelle forme métahumaine, se réveillent !

Le simple quidam peut ainsi du jour au lendemain utiliser la magie ou encore communiquer avec les esprits et les invoquer. Au cours de la trame temporelle du jeu (la première édition du jeu évoque les années 2050, tandis que la dernière actuellement et sixième se déroule dans les années 2080) d’autres évènements viennent encore bouleverser la génétique métahumaine.

Revenons au nom du jeu, Shadowrun. Il évoque avant tout les activités des personnages-joueurs, les coureurs de l’ombre, mercenaires aux multiples spécialités : du pirate informatique au combattant, du mage au samouraï des rues. S’offrant à celui ou celle qui leur promettra le plus de nuyens (la monnaie principale), les shadowrunners (généralement un groupe de 4 à 6 personnes) effectuent des missions illégales et dangereuses allant du simple vol de technologie d’une compagnie adverse, au kidnapping d’un scientifique jusqu’à l’assassinat d’une personnalité influente ou encombrante.

Leurs clients ? Les puissantes et omnipotentes mégacorporations militaro-scientifiques en guerre commerciale, les gouvernements, les organisations légales ou criminelles, les riches particuliers. Mais que la mission soit parfaitement remplie ou non, la trahison n’est jamais loin. Si les histoires se déroulant sous les cités aux néons empruntent souvent le chemin du polar, du roman noir, du thriller ou récits conspirationnistes, l’action et l’échange de politesses balistiques et magiques arrivent généralement assez vite dans les intrigues. Le jeu Shadowrun Returns n’y fait d’ailleurs pas exception.

Welcome to the shadows

Développé et édité par Harebrained Schemes (le studio à l’origine du récent Lamplighters League, hélas uniquement disponible sur Xbox et PC), Shadowrun Returns, comme son nom l’indique, n’est pas la première adaptation de l’univers en jeu vidéo. Quatre l’ont précédé, deux RPG sur Super Nintendo en 1993, Megadrive en 1994, un visual novel-RPG sur Sega-CD en 1996 (uniquement disponible au Japon) et enfin le dernier, un FPS sur Xbox 360 et PC en 2007.

Passons au test de Shadow Returns, premier opus de la trilogie, proche dans l’esprit et le gameplay du reboot des X-Com. Le jeu s’ouvre sur le choix de la difficulté (on conseille d’ailleurs le niveau « hard ») puis sur l’écran de création du personnage principal où l’on choisit son genre, sa race entre humain, elfe, nain, ork ou troll ce qui a une influence sur les statistiques principales du perso, sa profession qui est répartie en 6 classes correspondant à la spécialisation de son shadowrunner. On peut également choisir complètement son profil de joueur indépendamment des archétypes proposés.

Les différentes classes sont le samouraï des rues, guerrier spécialisé dans un type d’arme à feu (pistolet, pistolet mitrailleur, fusil d’assaut ou de précision, fusil à pompe) et/ou armes blanches, essentiel dans les combats. Le decker, pirate informatique qui s’infiltre dans la matrice pour récupérer des données lors des phases de ce type. Le mage qui peut lancer des sorts offensifs (élémentaires), de soin et/ou de soutien. Le shaman, mage spécialisé dans l’invocation de puissants esprits et qui a les plus puissantes magies de soutien. L’adepte, semi-mage qui « buffe » ses caractéristiques physiques pour fracasser ses adversaires au corps à corps. L’interfacé utilise des drones dans les combats et excelle dans la recherche d’indices. Pour ma partie, je jette mon dévolu sur une shaman elfe, spécialisé dans le fusil de précision avec une haute dose de charisme correspondant au profil « face », c’est-à-dire spécialiste des interactions sociales qui ont un rôle prépondérant dans le jeu.

Après le choix de l’avatar et des couleurs du personnage, viens le moment de dépenser ses points de karma (l’expérience du jeu) parmi les caractéristiques (liées à la spécialisation comme par exemple, la force, la vitesse ou l’endurance) et les compétences et les sous-compétences (par exemple combat à distance, lancer de sort ou esquive). A noter que pour progresser dans une compétence ou caractéristique, il faut dépenser le nombre actuel de points +1 pour passer au niveau supérieur. De même la compétence ou la sous-compétence ne peut dépasser le maximum de la caractéristique correspondante, ce qui donne une certaine logique à l’évolution du joueur. De ce point de vue, l’évolution des personnages propose une véritable liberté bien que le fait de se consacrer à deux ou trois compétences majeures est souvent gage de réussite lors des phases de combats.

Parlons des phases justement. Le jeu se décompose en deux parties évoluant dans le même décor en vue isométrique. Les phases d’exploration où notre personnage, accompagné ou non de son équipe, va partir à la recherche d’informations, d’indices, interroger les personnes présentes, pirater un ordinateur, tenter de corrompre une personne qui ne veut pas laisser passer le groupe, etc. Les choix des dialogues (en général du déférent au plus agressif) sont d’ailleurs tout aussi importants que la stratégie lors des combats et permettent de résoudre de différentes manières un problème ou de réussir une infiltration. L’étiquette est importante dans le jeu car selon la catégorie sociale (corpos, shadowrunner, élite sociale, etc.), elle permet d’accéder à des dialogues et évènements uniques. Le choix du profil de shadowrunner ouvre donc tout un tas de possibilités.

Quand le groupe déclenche une confrontation, le jeu passe en mode tactique et se rapproche d’un X-Com par l’utilisation du décor pour se mettre à couvert. Le joueur contrôle son équipe de personnages chacun disposant de deux points d’action au début du jeu leur permettant de se déplacer, tirer, recharger, lancer un sort, invoquer un esprit sur le champ de bataille, utiliser un objet, etc. Puis vient le tour des ennemis qui disposent des mêmes conditions. Un système de pourcentage est au centre de la réussite ou non des actions entreprises qui augmentent à mesure que le personnage progresse dans ses compétences. Ces affrontements ont souvent lieu dans la rue, dans des complexes, des bâtiments au parfum futuriste mais souvent délabré. Il y a également comme dit précédemment des phases où le decker va explorer la matrice pour recueillir des données tout en affrontant au passage des I.A. qui peuvent le blesser voire le tuer (bref lui griller les neurones). C’est d’ailleurs inspiré du roman Shadowrun – Grille-Neurones que l’histoire commence.

test de Shadowrun Returns

Die by the shadows, Live by the shadows

Que dire du jeu une fois manette en mains ? Un vrai plaisir d’un peu plus d’une dizaine d’heures. Mais commençons par le commencement. Le jeu s’ouvre sur le taudis qui tient lieu d’appartement de notre personnage lorsque le vidéophone sonne avec un message préenregistré d’un de nos vieux amis coureurs de l’ombre : Sam Watts. Ce dernier, par-delà la mort, nous demande en échange d’une somme conséquente de 100 000 nuyens de trouver le responsable de sa mort : le fameux Dead man’s switch. Une fois l’assassin retrouvé et formellement identifié, la très conséquente somme sera viré sur notre famélique compte en banque.

S’ensuit un flashback qui nous emmène trois ans plus tôt, lors de la dernière mission avec Sam (qui a évidemment mal tourné en raison de la traitrise d’un des membres de l’équipe) et qui sert avant tout de tutoriel au système de combat. Une fois le combat expédié, retour à l’appartement et départ pour Seattle dans le quartier pittoresque des Redmond Barrels à la recherche de la morgue hébergeant le corps de notre vieux pote. On rencontre là-bas le sympathique médecin légiste Dresden qui nous met sur la piste d’un tueur en série surnommé l’Eventreur d’Emerald City qui après avoir tué ses victimes leur prélève un organe. Sam étant sa troisième victime.  C’est ainsi que débute un véritable polar musclé digne d’un film noir où la motivation de la quête de notre personnage oscillera selon vos choix de dialogue entre vengeance ou appât du gain.

L’une des raisons qui motiverait le joueur d’aujourd’hui de plonger dans Shadowrun Returns est sans conteste son ambiance de film noir à la Blade Runner. On est au cœur d’une véritable enquête policière conduite par une marginale (dans mon cas), qui finit par se faire quelques alliés et surtout de nombreux ennemis. L’aspect Cyberpunk est très bien rendu par les décors, qui même s’ils sont un peu datés, plonge le joueur dans l’univers mal famé des bas-fonds de Seattle avec toute une palette de personnages plus ou moins recommandables mais tous formidablement bien écrits.

Les dialogues sont à ce propos d’une exquise richesse en vocabulaire allant du familier et classique du genre Chum (gars/type) à des conversations poussées voire philosophiques avec les élites de la ville. Il faudra, certes, maîtriser l’anglais pour apprécier complètement la subtilité de certaines tournures et même si j’ai une très bonne compréhension de la langue de Shakespeare, nombre d’expressions m’ont quelque peu échappé. Bref, j’ai retrouvé ce qui fait la même qualité d’écriture que dans un jeu bien plus récent : Cyberpunk 2077. SI la narration se déroule de manière linéaire (excepté quelques missions annexes que l’on peut faire auprès du fixer), l’intrigue réserve quelques surprises et embarque solidement le joueur jusqu’à la résolution finale.

Dans ce monde violent, où l’individualisme fait loi, la négociation n’est pas la seule arme pour régler les conflits. Bien souvent les armes sortent rapidement de leur fourreau pour trancher une situation. Et l’on se retrouve rapidement avec son équipe de 4 shadowrunners maximum à affronter des ennemis bien plus nombreux, parfois mieux armés mais, hélas, sans véritable challenge cela même en choisissant la difficulté la plus élevée.

Quand il s’agit de monter une équipe en vue d’une infiltration par exemple, on peut recruter ses membres auprès du fixer en échange de crédits; l’idéal est d’équilibrer les profils pour faire face à tous types d’aléas. Le jeu rend cette phase très intéressante et les professions décrites plus haut permettent une réelle variété dans le gameplay avec les différentes classes même si les flingues restent très souvent la solution la plus efficace. Surtout, elles s’accordent parfaitement avec l’univers du jeu et ses particularités rendent hommage aux coureurs de l’ombre. Malgré ces qualités, on est en-dessous d’un tactical comme X-Com (pas exempts de défauts non plus) mais les affrontements restent très appréciables cependant.

Pour conclure sur ce test de Shadowrun Returns, l’expérience propose un excellent équilibre entre les phases d’exploration et celles de castagne, passant naturellement de l’une à l’autre, le tout offrant un continuum qui immerge le joueur dans la narration et l’univers du jeu de rôles.

Cyberpunk mania

Voilà, une fois le jeu terminé, j’ai eu enfin la sensation outre le fait d’avoir vengé mon pote virtuel de surtout réparer une aberration ludique. Si j’ai pu, à l’occasion, faire une incursion dans l’univers de Shadowrun sur table le temps d’une soirée découverte avec des règles issues d’un autre jeu de rôle, rien ne vaut le plaisir d’y consacrer du temps manettes en mains dans un très bon jeu, certes loin d’être parfait mais avec d’indéniables qualités. Cela me donne l’envie de creuser, de me replonger dans l’univers en relisant les romans, au moins la première trilogie, qui ai-je appris nous ont été traduits dans des versions tronquées pour rentrer dans le format 250 pages de la collection de l’époque. J’espère qu’à l’issue de ce test de Shadowrun Returns vous avoir transmis le virus.

Je rêverais aussi d’avoir assez de temps pour véritablement explorer les rues de Seattle, Tokyo ou autres dans de longues soirées avec des amis autour de la sixième version du jeu, peut-être cela arrivera un jour. En attendant, j’ai de quoi me faire plaisir avec les deux autres jeux de la trilogie installés sur ma console, qui promettent de gommer certains défauts du premier ou encore de faire l’extension de l’excellent Cyberpunk 2077. Alors, vous venez ? Même si les nuyens ne sont pas là à l’arrivée, promis, vous ne le regretterez pas !